Publié le jeudi 9 octobre 2025

Chacun⋅e sa part du gâteau :  Le partage de la valeur dans l’énergie 

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Le 24 septembre dernier, dans le cadre de la semaine célébrant ses 20 ans, Enercoop organisait au Musée d’Art Moderne un débat sur le thème du partage de la valeur dans le secteur de l’énergie. 

Thème cher à Enercoop depuis ses débuts, il était symbolique de centrer le débat sur le partage de la valeur à l'occasion des 20 ans de la coopérative. Si Enercoop s’est constituée en société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) en 2005, c’est en effet pour se positionner à contre-courant du modèle capitaliste et centralisé, lutter contre ses dérives, accélérer le développement des énergies renouvelables et proposer une alternative plus durable, désirable, locale et solidaire 

Le secteur de l’énergie est en effet fondamentalement capitaliste et répondant aux logiques du marché. 

Ce constat nous amène donc à nous poser la question suivante : Pourra-t-on atteindre nos objectifs climatiques, rendre la transition énergétique désirable et mieux partager la valeur en composant avec les règles du marché ou faut-il renverser la table et proposer un modèle anticapitaliste de gestion de l'énergie ? 

Alors que les coûts liés à la transition énergétique vont connaître une forte augmentation dans les années à venir liée aux différentes réformes en préparation (marchés de l'électricité et du carbone notamment), dans un contexte de prix déjà haussier pour les consommateurs et consommatrices, cette question du partage de la valeur est plus que jamais d’actualité. Nous assistons à un foisonnement d'initiatives de citoyen⋅nes, de collectivités, d'acteurs et actrices du marché de l'énergie visant à rendre cette transition plus supportable, voire désirable et joyeuse.

Sous l’imposante peinture de Matisse “La Danse de Paris”, Enercoop a donc réuni un panel d’acteurs et actrices expert⋅es sur ces questions : 

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Le débat, modéré par Béatrice Delpech (directrice générale adjointe d’Enercoop), a porté sur les fondamentaux du marché de l’énergie, les différents leviers d'actions existants aujourd'hui pour apporter des solutions aux coûts de la transition et s’est achevé sur plusieurs propositions à l’attention des pouvoirs publics pour généraliser les initiatives existantes ayant prouvé leur efficacité. 

Le lien entre justice sociale et transition énergétique

Selma Huart, Chargée de Plaidoyer Inégalités Climatiques chez Oxfam, a commencé par rappeler que la justice sociale en France serait un monde où les inégalités seraient corrigées, pour avoir un niveau de vie décent pour toutes et tous. Or nous connaissons aujourd’hui le taux de pauvreté le plus terrible sur les 30 dernières années et la multiplication de la richesse des ultras riches par 14. Le lien entre inégalités sociales et inégalités climatiques a ensuite été clarifié par Selma Huart, à savoir que plus on est riche, plus on consomme, et plus on pollue, inversement quand on est pauvre. Ainsi en agissant sur la transition écologique et les injustices sociales, il est possible de passer d’un cercle vicieux à un cercle vertueux.

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Pour cela, il est impératif que les politiques publiques de transition soient justes et équitables. Les aides à la rénovation, par exemple, ne remplissent pas ce critère de justice et d’équité : bien que le montant perçu soit proportionnel au revenu des ménages, le reste à charge même de 10 % est trop important pour certains ménages, ce qui ne leur permet pas d’entreprendre des travaux de rénovation.

Parmi les propositions fortes d’Oxfam pour agir à la fois sur la transition écologique et les injustices sociales figurent : 

👉 l’encadrement des dividendes, 

👉 une taxe sur les dividendes des entreprises qui ne respectent pas les accords de paris qui permettrait de récolter près de 50 milliards d’euros par an

👉 le conditionnement de l'argent public aux accords de paris : pas un euro public dépensé dans des projets climaticides.

Partage de la valeur et marché de l’énergie

Anna Creti, professeur titulaire à l'Université Paris Dauphine, Paris et directrice de la chaire d'économie du climat, est de son côté rapidement revenue sur le fonctionnement du marché de l’électricité créé en 1996 par des directives européennes, en insistant sur l’importance de ne pas systématiquement donner au marché de mauvais rôle et à la fiscalité le bon rôle

S’il y a bien eu des défaillances de marché, la France est le seul pays au monde qui en partant de structures économiques très différentes, d’un bouquet énergétique différent avec des choix historiques, a décidé de mettre un pot commun sur l’électricité en donnant un droit d’accès à l’électricité quelque soit notre zone d’habitation (ce qui n’est pas le cas pour le gaz). 

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Anna Creti a ensuite rappelé que l’objectif principal du marché n’est pas de baisser les prix mais de déterminer un prix (qui parfois reflète la rareté de l’électricité comme lors de la crise énergétique de 2023) et mettre sur un pied commun les consommateurs européens, en leur donnant la possibilité de choisir leur fournisseur d’énergie notamment. 

Ivan Faucheux, membre du collège de la Commission de Régulation de l'Énergie (CRE), a commencé par un bref pas de côté en rappelant que la décarbonation change la donne du point de vue géographique et de partage de la valeur : les revenus des énergies carbonées ne se situent pas en France, alors qu’avec des énergies décarbonées le partage de la valeur se pense davantage aux échelles régionales (Europe) et nationales. 

Ivan Faucheux a ensuite précisé que le rôle d’un marché est de donner un prix, mais qu’on ne peut pas le tordre ni lui donner un rôle qui aille au-delà de la mise en lien entre offre et la demande. Le marché est finalement du traitement d’information, quand d’autres règles sont ajoutées, comme le partage de la valeur, on tord le traitement de l’information et donc le fonctionnement du marché. 

D’autres pistes hors marché doivent être explorées : la taxation nationale et locale, ou bien les contrats long terme de gré à gré (PPA). Le marché est aujourd’hui inefficace pour permettre des investissements de long terme, pourtant indispensables à la transition énergétique. C’est la raison pour laquelle la CRE promeut aujourd’hui fortement les PPA.  

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Zoom sur le rôle des banques dans la transition énergétique 

Rémi Hermant, analyste chez Reclaim Finance, a présenté le rapport publié par Reclaim Finance la veille du débat, le 23 septembre, intitulé “Banking on Business as Usual”. Dans ce rapport, Reclaim Finance et ses partenaires ont comparé pour la première fois à l’échelle mondiale les financements aux énergies fossiles avec leurs alternatives soutenables (énergies renouvelables). D’ici 2030, pour s’aligner sur les trajectoires de l'Agence internationale de l'Énergie en matière de décarbonation, il faudrait atteindre un ratio de 6 pour 1 : pour 1 euro investi dans les énergies fossiles, il faut en mettre 6 dans les énergies renouvelables. Or, les banques ont actuellement un ratio de 0,42 pour 1 (pour 1 euro investi dans les énergies fossiles, seulement 0,42 euro le sont dans les énergies renouvelables). 

L’ONG appelle les banques à adosser tout type d’investissement dans les énergies à un ratio entre fossiles et décarbonées, afin de s’assurer que les investissements dans les décarbonées remplacent bien l’investissement dans les énergies fossiles.

En conclusion, face au constat de l’absence de sursaut d’investissement des banques dans les énergies renouvelables, et à défaut de pouvoir renverser la table, Rémi Hermant a plaidé pour l’indispensable renversement de paradigme dans la manière dont le secteur bancaire approche le secteur énergétique. 

Zoom sur des initiatives locales et concrètes de partage de la valeur

Auréline Doreau du Réseau Cler a commencé par rappeler le contexte que nous traversons actuellement : 

  • la France vient à peine d’atteindre son objectif européen de 23 % d’énergies renouvelables dans sa consommation finale brute d'énergie, objectif que le pays aurait dû atteindre en 2020 ;
  • le pays n’a pas de programmation énergétique ;
  • le climat politique est de plus en plus défavorable aux énergies renouvelables, alors même que l’image des EnR est très positive dans la population selon plusieurs récents sondages. 

Or, un meilleur partage de la valeur est l'un des principaux leviers d’accélération de développement des EnR, notamment du point de vue de l’acceptabilité. 

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Auréline Doreau a précisé que le partage de la valeur s’entend comme le processus visant à garantir une répartition équitable, par les promoteurs et les exploitants, des avantages découlant d'un projet EnR aux communautés locales touchées par ses impacts​. 

De nombreuses initiatives existent aux niveaux local et national : 

  • des labels comme le label Energie Partagée qui permet de valoriser des projets de production d’énergies renouvelables respectant différents principes dont celui du partage de la valeur ; 
  • des chartes comme celle d’Amorce et de France Renouvelable ;
  • des exemples inspirants et réplicables comme le parc éolien citoyen d’Andilly-les-Marais (près de La Rochelle) d’une puissance de 16,8 MW et doté des plus grandes pâles de France, qui n’a fait l’objet d’aucun recours. La Région s’est fortement impliquée dans ce projet en versant un euro pour chaque euro citoyen investi dans le projet. 

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Les projets citoyens sont par définition des vecteurs de partage de la valeur car les citoyen⋅nes, collectivités et acteurs locaux participent au capital et à la gouvernance des projets. Ce modèle est notamment défendu par le Collectif pour les énergies renouvelables territoriales, animé par le Cler et dont fait partie Enercoop. 

Auréline Doreau a conclu en précisant que quatre critères doivent être réunis pour un partage optimal de la valeur lors du montage de projets, faisant notamment référence à un récent rapport du CAN Europe sur le sujet : 

👉 critère de transparence : implication précoce des communes

👉 adéquation des mécanismes de partage de la valeur aux besoins locaux

👉 pertinence : les bénéfices doivent etre tangibles et additionnel par rapport à l’existant

👉 Réparation des bénéfices équitables (priorité aux ménages les plus vulnérables).

Le mot de la fin est revenu à Béatrice Delpech, Directrice générale adjointe d’Enercoop, qui a plaidé pour la mise en place de réglementations facilitatrices pour la généralisation de mécanismes de partage de la valeur. Des initiatives locales ont prouvé leur efficacité, l’enjeu est désormais de les généraliser et pour cela, la réglementation au niveau national est indispensable. Reprenant les propos d’Ivan Faucheux sur l’intérêt des PPA pour un juste partage de la valeur, Béatrice Delpech a rappelé qu’Enercoop était porteuse de propositions pour accélérer et démocratiser les PPA en France.



Ce débat a permis de poser des constats et a démontré que les initiatives et solutions concrètes existent pour agir à court terme en faveur de l’adhésion sociétale à la transition énergétique (modèles alternatifs d’organisation du marché de l’énergie, initiatives locales composant avec les règles du marché,...), donnant tout son sens à cette citation d’Henri Matisse : “N'attendez pas l'inspiration. Elle vient pendant que l'on travaille”.

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