Publié le jeudi 29 juin 2023

Débunkons les idées reçues en faveur du nucléaire - Épisode 3 :
“L’erreur a été d’arrêter de construire de nouveaux réacteurs nucléaires”

Quand on parle d’énergies renouvelables (EnR) et de nucléaire, un certain nombre d’idées reçues circulent et ont parfois la peau très dure. Cet été, Enercoop vous propose une série d'articles pour y voir plus clair. Elle va ainsi s'attacher à démystifier - ou débunker - les idées reçues en faveur du nucléaire. Aujourd'hui, lumière sur 2 nouvelles idées reçues, qui soutiennent que la France n'aurait jamais dû s'arrêter de construire des centrales nucléaires.

Des investissements dans le nucléaire ont perduré ces vingt dernières années et particulièrement dans le développement d’un nouveau modèle de réacteurs, l’EPR (réacteur pressurisé européen). Conçu entre autres pour prendre le relais à l’avenir sur les réacteurs historiques, son développement a connu de nombreuses difficultés qui ne sont pas dues à un sous-investissement financier de la part de la puissance publique, qui est même venu à son secours. Ce n’est pas non plus la raison des baisses de production du parc nucléaire de ces dernières années. Sur ces deux dernières décennies, s’il n’y a effectivement pas eu de relance d’un programme de construction massif de réacteurs nucléaires, car la production d’électricité était suffisante, il n’y a que sous le quinquennat du président François Hollande que des décisions ont été prises pour réduire, à terme, la part du nucléaire dans le mix électrique. La fermeture de Fessenheim a été faite pour commencer à anticiper la fermeture inévitable des centrales nucléaires historiques qui sont censées arriver prochainement en fin de vie.

☞ Au début des années 2000, nous n’avions pas besoin de continuer un large programme de construction nucléaire :

Il n’y avait plus de nécessité de construire des réacteurs pour répondre à notre demande électrique. Les recherches sur un nouveau modèle de réacteurs nucléaires, l’EPR devaient à l’époque permettre d’aboutir sur des réacteurs capables de prendre le relais au moment de la fermeture des centrales historiques.

☞ Des investissements ont perduré depuis 20 ans : 

L’Etat, directement et indirectement par le biais d’EDF et d’AREVA, a continué les investissements dans le développement de nouvelles capacités nucléaires que ce soit pour l’EPR de Flamanville (Normandie) ou pour Hinkley Point (Angleterre), Olkiluoto (Finlande), Taishan (Chine) (en co-investissement).

☞ Mais L'Etat actionnaire n’a pas non plus joué son rôle : 

La Cour des Comptes a jugé laxiste le suivi des projets nucléaires effectué par l’Etat actionnaire en dénonçant qu’aucune des notes produites par l’Agence des participations de l’Etat (APE) entre 2004 et 2019 ne fasse état  “d’inquiétude ou de questionnement (...) sur le projet (de Flamanville), son coût, ses dérives successives” (1).

☞ Et lorsque la filière nucléaire française a échoué c’est le contribuable qui est venu à sa rescousse :

Pour comprendre pourquoi EDF et Areva ont annoncé des prévisions de coûts et de délais aussi optimistes pour la construction des EPR de Flamanville et d'Olkiluoto, il est nécessaire de s’attarder sur la relation entre ces deux géants. Le rapport de la Cour des Comptes, entre autres, a montré en quoi la concurrence qualifiée de “lutte fratricide” entre Areva et EDF, non arbitrée par l'Etat, s'est transformée en “surenchère”. Cette concurrence frontale entre les deux entreprises les a poussées à annoncer des délais et des devis irréalistes pour emporter des marchés. 

Finalement, l’Etat, avec des fonds publics, est venu au secours d’Areva lorsque l’entreprise a fait faillite. En 2017, il a en effet recapitalisé à hauteur de 2,5 milliards d’euros la branche production et traitement des combustibles (transformée depuis en Orano) mais aussi Areva SA à hauteur de 2 milliards d'euros pour que cette entité finisse la construction de l’EPR finlandais. L’Etat a également payé des pénalités à la place d’Areva et a recapitalisé EDF de 3 milliards d’euros pour le rachat de l’activité de construction d’Areva. Au total, ce sont 8 milliards d’euros d’argent public qui ont été mobilisés pour venir au secours de la filière nucléaire, marquée par des défaillances de gestion et d’investissements.

☞ Flamanville devait entrer en service en 2012 et les retours d’expériences devaient alimenter la réflexion sur le lancement d’un programme nucléaire plus vaste :

Il semblait également cohérent d’attendre la mise en route de l’EPR de Flamanville pour s’assurer de sa faisabilité et de son intérêt ainsi que de tirer des leçons de cette première tête de série avant de décider de lancer un programme massif de construction de plusieurs paires. Prévu pour 2012, à date, l’EPR n’est pas encore connecté au réseau et ne le sera pas avant 2024 au plus tôt. Ces éléments n’ont ainsi pas joué en la faveur de la relance d’un vaste programme et n’ont certainement pas aidé à la planification d’une telle stratégie.

De plus, il est nécessaire de rappeler que le fiasco de l’EPR de Flamanville n’est pas lié à un manque d’investissement de l’Etat, comme nous l’expliquons dans l’Episode 2 du Débunkage des idées reçues en faveur du nucléaire intitulé “Relancer le nucléaire est une vraie opportunité sur le plan économique et pour redorer le blason de la France”.

☞ Sous le quinquennat du président François Hollande, il est vrai, la préoccupation a plutôt été d’anticiper la fermeture des centrales historiques :

La loi de transition énergétique pour la croissance verte, votée sous le quinquennat Hollande, a en effet instauré un seuil maximal de production d'électricité à partir du nucléaire à 50 % à l’horizon 2025 et a commencé à anticiper la fermeture des centrales nucléaires en orchestrant celle de la centrale de Fessenheim. En 2019, Emmanuel Macron a repoussé cet objectif de dix ans. 

L’erreur a surtout été de ne pas avoir assez anticipé le besoin d’augmenter les capacités de production électrique pour accompagner l'électrification de notre système énergétique. Les politiques publiques n’ont pas suffisamment soutenu le déploiement des énergies renouvelables pour compenser la baisse de la production nucléaire et amorcer la sortie des énergies fossiles. 

☞ Néanmoins, l’indisponibilité du nucléaire connue ces dernières années n’est en aucun cas le fait d'atermoiements politiques :

Les arrêts des centrales nucléaires qu’on connaît actuellement ne sont pas liés au sous-investissement. Elles sont le fait d'arrêt dans le cadre de visites décennales prévues pour des raisons de sécurité et, de manière problématique et non anticipée, suite à la détection de fissures comme nous l’avons décrit dans l’Episode 1 du Débunkage des idées reçues en faveur du nucléaire intitulé  “Relancer le nucléaire est nécessaire pour garantir notre sécurité énergétique”. Ceci a engendré jusqu’à l’arrêt de 32 réacteurs sur les 56 en activité en août 2022 dont 15 pour un problème jugé “sérieux et inattendu” selon les mots de Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

☞ Le but de la fermeture de Fessenheim était d’éviter un effet falaise et d'accorder de la visibilité pour le démantèlement des centrales : 

Étant donné que les réacteurs nucléaires ont été construits en grande partie dans les années 1980, à des échelles de temps très rapprochées, ils devraient logiquement être fermés peu ou prou en même temps. Afin d’éviter que cela ne se produise, car cela entraînerait une forte baisse de la production d’électricité, ce que l’on appelle “l’effet falaise”, il était nécessaire de lisser la fermeture de chacune en commençant par la plus ancienne.

☞ Au départ, Fessenheim ne devait pas fermer tant que Flamanville n'était pas en service mais le chantier a eu beaucoup trop de retard.

☞ Plus on anticipe une sortie du nucléaire plus le coût social est faible :

Pour ne laisser personne sur le côté de la route, il est essentiel d’amener rapidement la question du reclassement des salarié⋅es de la filière nucléaire. En chiffrant les besoins et en fixant à l’avance des échéances claires en matière de fermetures des réacteurs nucléaires, il serait possible d’anticiper la mise en place d’accompagnements et de formations pour les réorientations.

Retrouvez notre débunkage des autres idées reçues en faveur du nucléaire.

Sources

(1) La filière EPR - Rapport de la Cour des comptes - juillet 2020 P.39

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