Publié le jeudi 15 juin 2023

Débunkons les idées reçues en faveur du nucléaire - Épisode 1 : “Relancer le nucléaire est nécessaire pour garantir notre sécurité énergétique”

Quand on parle d’énergies renouvelables (EnR) et de nucléaire, un certain nombre d’idées reçues circulent et ont parfois la peau très dure. Cet été, Enercoop vous propose une série d'articles pour y voir plus clair. Elle va ainsi s'attacher à démystifier - ou débunker - les idées reçues en faveur du nucléaire. Aujourd'hui, lumière sur 5 de ces idées reçues, qui viennent toutes appuyer l'idée que relancer le nucléaire est incontournable pour garantir notre sécurité énergétique.

Pour atteindre la neutralité carbone d'ici la moitié du siècle, il est nécessaire de conduire une transition énergétique qui comporte de nombreux défis sur le plan technologique et sociétal. Les rapports prospectifs réalisés par négaWatt, RTE (Réseau de Transport d’Electricité) et l’Ademe (Agence de la transition écologique) en 2021 et 2022 ont montré qu’il était possible de satisfaire nos besoins globaux en énergie, et ce, à chaque instant, sans relancer un programme nucléaire. Ces besoins devront être nécessairement réduits par un effort de sobriété qui passe par des changements comportementaux, afin de sortir des énergies fossiles, atteindre nos objectifs climatiques et réduire la demande de production d’énergie. Il faut également agir au niveau de l’efficacité énergétique et de l’électrification de nos usages. Qu’importe l’option choisie entre relance ou non du nucléaire, il faudra massivement développer les énergies renouvelables d’ici à 2050. Pour obtenir un mix électrique composé à 100 % d’énergies renouvelables, il est nécessaire de miser sur toutes les énergies renouvelables, qui par leurs caractéristiques propres sont complémentaires, et sur différents leviers de flexibilité (effacement de la consommation, moyens de stockage, développement des STEP, nouveau thermique décarboné et développement des interconnexions)  pour gérer la variabilité de leur production et permettre de produire suffisamment d’énergie. Précisions que cela requiert des  investissements et efforts de Recherche & Développement massifs - et atteignables - dans des solutions de flexibilité. Pour ne pas subir des arrêts brutaux inattendus, la fermeture des centrales nucléaires historiques doit être planifiée et étalée jusqu'à 2045-2050. Dès lors, il sera possible de garantir qu’à tout moment nous pourrons nous chauffer et nous éclairer. Enfin, l’idée d’indépendance énergétique est un mythe plus qu’une réalité et le nucléaire n’est certainement pas une énergie 100 % française, déliée de toute dépendance envers l’étranger. Si la France produit assez d’électricité, principalement d’origine nucléaire, ce n’est qu’une petite partie de l’énergie consommée au total, qui est majoritairement d’origine fossile. De plus, l’uranium naturel nécessaire pour produire de l’énergie nucléaire est importé à 100 % et sa filière d’extraction et de transport dépend en grande partie du géant Russe Rosatom, proche du Kremlin, ce qui questionne d’autant plus dans le contexte de guerre en Ukraine et laisse peser un doute raisonnable sur notre sécurité d’approvisionnement.

☞ Le nucléaire représente entre 63 et 70 % de l’électricité produite en France mais ne représente qu’une petite part de l’énergie que nous consommons :

En effet, la France reste massivement dépendante aux énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), à hauteur de plus de 60 % de sa consommation finale. L’électricité ne représente encore qu’environ 25 % de l’énergie consommée en France. Ainsi, si le nucléaire représente bien entre 63 et 70 % de l’électricité produite en France, il représente moins de 20 % de l’énergie finale utilisée par les français, c’est-à-dire de l’énergie que nous consommons chaque année pour nous chauffer, nous déplacer, nous éclairer…

☞Les réacteurs nucléaires produisent déjà de moins en moins pour cause d’indisponibilité :

La disponibilité du parc nucléaire a été historiquement faible en 2022. En effet, elle était à un taux de seulement 54 % sur l’année contre 73 % en moyenne entre 2015 et 2019. Par conséquence, avec 279 TWh produits, la production nucléaire affiche un recul de 30 % par rapport à la moyenne de ces vingt dernières années (1). Depuis 1988, le parc nucléaire n’avait jamais produit aussi peu. Notons que 2022 est loin d’être une exception mais le reflet d’une baisse tendancielle au fil des dernières années. 

Les raisons de cette indisponibilité sont des arrêts des réacteurs de plus en plus fréquents et de plus en plus longs, à la fois dans le cadre d’arrêts programmés lors des visites de contrôle décennales mais aussi, et c’est ce qui est problématique, du fait d’anomalies. En 2021, on a ainsi découvert des problèmes de fissures liées à de la corrosion sous contraintes sur 12 réacteurs. Dès lors, jusqu'à 32 des 56 réacteurs étaient indisponibles en août 2022 dont 15 pour un problème jugé “sérieux et inattendu” selon les mots de Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) (2). Si certains de ces réacteurs ont redémarré en 2022, une découverte en mars 2023 de nouvelles fissures sur les circuits d’injection de sécurité, dont le but est de refroidir les réacteurs, a engendré l'arrêt de deux réacteurs à Penly (Normandie) et un à Cattenom (Grand Est).

☞Nos besoins énergétiques doivent évoluer vers plus de sobriété :

La France s’est engagée à sortir des énergies fossiles d’ici à 2050. Cela passe entre autres par une électrification des secteurs d’activité, en particulier les secteurs des transports, de l’industrie, du résidentiel et du tertiaire (notamment sur la question du chauffage).

La France s'est aussi engagée à réduire sa consommation d’énergie de 40 % d’ici à 2050 afin d’atteindre ses objectifs de neutralité carbone. En effet, la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. Pour cela, le levier d’action le plus puissant est la sobriété (3). Elle passe par une évolution de nos comportements de consommation et de nos habitudes de vie notamment sur les questions de mobilité, en allant vers une baisse de la demande des biens manufacturés, en maîtrisant les surfaces bâties, en modérant le nombre d’équipements électriques. Cela passe aussi par une plus grande efficacité énergétique avec la rénovation énergétique des bâtiments. Dans le rapport de RTE (4), la trajectoire de sobriété à l’horizon 2050 permet de réduire de 15 % la consommation d'électricité par rapport à la trajectoire de référence et dans le rapport de négaWatt (5) il est question de  28 % d’énergie finale en moins par rapport à 2015.  

☞ Dès lors, il est possible de fermer à l’horizon 2045-2050 tous les réacteurs nucléaires historiques, sans en construire de nouveaux, tout en produisant assez d’énergie :

Les deux rapports de RTE (4) et négaWatt (5) de 2022 ainsi que les scénarios de l’Ademe(6) de 2013 et 2021 ont démontré qu'il était possible de produire suffisamment d'énergie et en particulier d'électricité pour satisfaire nos besoins énergétiques à l’horizon 2050, sans construire de nouveaux réacteurs nucléaires. Pour cela, il faut réduire notre consommation globale d’énergie et déployer massivement des capacités de production d'énergies renouvelables notamment éoliennes, solaires, biomasses et thermiques. Dans certaines trajectoires de consommation, il serait possible de compter sur une production électrique à 100 % issue d’énergies renouvelables (7) Soulignons, enfin, que pour tendre vers ce mix 100 % renouvelable, des investissements importants et des efforts en Recherche & Développement pour pallier la variabilité devront être faits, en ciblant notamment l’amélioration des techniques de stockage (hydraulique, méthane de synthèse issu de la production d’hydrogène par électrolyse, batteries...) et de flexibilité des consommations. Ces défis de taille sont toutefois atteignables..

Pour aller plus loin : plus de détails sur les scénarios RTE, négaWatt et Ademe

☞ Tel un funambule, le réseau électrique doit en permanence garder l’équilibre.

Concrètement, cela veut dire que l’électricité qui est injectée sur le réseau, par les producteurs en France ou par les importations depuis d’autres pays, doit être égale à chaque instant à l’électricité qui en est soutirée, par les consommateurs ou par les exportations vers d’autre pays. Le mix électrique français est aujourd'hui composé en majorité de nucléaire, puis d’énergies renouvelables (principalement hydraulique, éolienne et solaire) et de centrales thermiques à combustible fossile (aujourd’hui principalement à gaz). Si un déséquilibre sur le réseau entre l’offre et la demande apparaît, des sources d’énergie pilotables telles que la grande hydroélectricité, les centrales thermiques (aujourd’hui principalement à gaz) et nucléaires peuvent s’enclencher pour répondre à la demande, de manière plus ou moins rapide selon le type de centrale.

☞Ce ne sont pas les centrales nucléaires qui permettent cet ajustement de manière rapide :

A noter que lorsqu’il s’agit de répondre à un pic important de consommation non anticipé de manière rapide et automatique, parfois en quelques secondes ou minutes, les centrales nucléaires ne sont pas en capacité de gérer ces pointes courtes nécessitant la livraison de volumes importants car leur réactivation prend du temps (8). C’est donc aujourd’hui le gaz qui joue principalement ce rôle.

☞Le nucléaire n’est pas exempt de situations d’arrêts fortuits mettant en difficulté l’équilibrage du réseau :

En effet, RTE a recensé sur son site (9) les arrêts imprévus de plus de 100 MW affectant les centrales et groupes de production situés en France métropolitaine (hors Corse). On apprend qu’en 2014 un peu plus de 260 arrêts fortuits affectant l’un ou l’autre des 58 réacteurs nucléaires opérationnels se sont produits, soit 5 par semaine environ. Comme le relève Décrypter l’énergie, “en moyenne, la perte de production est de 680 MW en quelques secondes et peut atteindre jusqu’à 1 500 MW. Une telle situation, qui figure parmi les plus importants risques d’effondrement du réseau, équivaut à l’arrêt brutal et quasi-simultané de plus de 600 éoliennes fonctionnant à pleine puissance, ce qui techniquement ne peut pas se produire.” 

☞ Les énergies éoliennes et photovoltaïques : Être une source d’énergie variable ne signifie pas que sa production est purement aléatoire :

C'est pourquoi l’on dit que certaines énergies renouvelables comme l’éolien et le photovoltaïque sont non pilotables mais pas intermittentes (production qui serait purement aléatoire). Dans leur cas, il est en effet possible de prévoir leur production de manière assez précise, mais il n’est pas possible de faire augmenter leur production à la demande pour compenser une hausse de la consommation. Si un arrêt inopiné d’une installation d’énergies renouvelables peut arriver, l’impact sur le réseau est extrêmement faible du fait de leur grand nombre.

☞ La variabilité est un enjeu important, que les défenseurs des énergies renouvelables ne minimisent pas car plus il y aura de sources renouvelables dans le mix énergétique, et particulièrement des sources non pilotables, plus cet enjeu deviendra crucial.

En effet, même dans le scénario le plus nucléarisé de RTE (N03), les capacités de production d’énergies renouvelables et en particulier éoliennes et photovoltaïques doivent être drastiquement augmentées pour atteindre au moins 50 % du mix de production d’ici à 2050.
Comme le dit RTE, le bon développement des énergies renouvelables a une condition : “La sécurité d’alimentation en électricité peut être garantie, même dans un système reposant en majorité sur des énergies à profil de production variable comme l’éolien et le photovoltaïque, si les sources de flexibilité sont développées de manière importante, notamment le pilotage de la demande, le stockage à grande échelle, les centrales de pointe, et avec des réseaux de transport d’interconnexion transfrontalière bien développés”

☞ Les énergies éoliennes et photovoltaïques : Être une source d’énergie variable ne signifie pas que sa production est purement aléatoire :

C'est pourquoi l’on dit que certaines énergies renouvelables comme l’éolien et le photovoltaïque sont non pilotables mais pas intermittentes (production qui serait purement aléatoire). Dans leur cas, il est en effet possible de prévoir leur production de manière assez précise, mais il n’est pas possible de faire augmenter leur production à la demande pour compenser une hausse de la consommation. Si un arrêt inopiné d’une installation d’énergies renouvelables peut arriver, l’impact sur le réseau est extrêmement faible du fait de leur grand nombre.

☞ De plus, il ne faut pas oublier que toutes les énergies renouvelables ne sont pas variables et que certaines sont pilotables :

la biomasse renouvelable (première source d’énergie renouvelable en France) et de manière générale la chaleur renouvelable (bois biomasse, géothermie) l’hydroélectrique avec retenue, le biogaz, l’hydrogène vert sont pilotables.

☞ La gestion d’un système électrique reposant essentiellement sur des énergies renouvelables variables est un réel défi qui est pris en compte et qui peut être géré de différentes manières en combinant plusieurs solutions :
  • Tout d’abord, les ENR sont complémentaires entre elles : les énergies renouvelables pilotables, comme l’hydroélectricité, la biomasse et le biogaz, sont peu ou pas soumises aux conditions météorologiques . Elles viennent ainsi en appui de sources non pilotables telles que l’éolien.
  • Ensuite, par l’effet de foisonnement du parc : plus il y a d’installations, plus elles sont réparties sur le territoire et donc moins elles sont affectées en même temps de mauvaises conditions météorologiques ce qui in fine augmente le rendement global du parc. Pour ne prendre que l’exemple de l’éolien, il existe peu de périodes sans vent (la France comptant trois grands régimes de vent - continental, atlantique et méditerranéen). 
  • Mais aussi et surtout, des outils techniques permettent de plus en plus de prévoir à l’avance la consommation d’énergies qui va être requise à un instant T. Il est également possible d’analyser dans le détails la production des unités renouvelables non pilotables ce qui permet d’anticiper en amont le recours à une autre source de production pour satisfaire un pic de consommation à un instant T le moment venu.
  • Nous pouvons aller vers une consommation “flexible” qui s’adapte au moins en partie à la production. C’est quelque chose qui existe depuis longtemps avec les heures pleines - heures creuses incitant à consommer de nuit plutôt que de jour, ou encore les anciens “effacement jours de pointe” (EJP) qui incitent à baisser drastiquement sa consommation pendant quelques jours clefs pour l’équilibre du réseau en hiver. Il s’agit maintenant de développer cela de manière plus fluide en adaptant la consommation de ses plus gros appareils (chauffages électriques, chauffe-eau, véhicule électrique, machine à laver, …) à la production horaire des énergies renouvelables. Cela concerne les usages résidentiels et les process industriels.
  • On peut aussi compter sur divers moyens de stockages : Il sera nécessaire de développer les capacités thermiques décarbonées (biogaz et hydrogène), les batteries dont celles des voitures électriques (recours toutefois limité aux batteries stationnaires et d’autant plus si l’on développe de manière ambitieuse la flexibilité des consommations(10)), les STEP (station de transfert d’énergie par pompage (11)),  et compter sur les réservoirs hydrauliques.
  • Qu’importe le scénario choisi, il faudra aussi compter sur des capacités d’importation (interconnexions européennes) : Nous nous appuyons déjà sur les interconnexions au niveau européen pour gérer l’équilibre entre la consommation et la production d’électricité et notamment pour “aplatir” les pics de consommation. D’après le scénario RTE de 2022, ces capacités d’importation vont être amenées à augmenter pour atteindre 31 GW d’ici à 2050, qu’importe le scénario choisi.

Avant de rentrer dans le débunkage de cette idée reçue, il est nécessaire de nous remettre au clair sur ce qu’est l’indépendance énergétique de manière globale.

Ce terme est particulièrement galvaudé, souvent mal compris et parfois utilisé pour propager des idées erronées. Effectivement, on y associe généralement l’idée que la France serait autosuffisante sur le plan énergétique et aurait presque la capacité de se couper du monde sans en subir de conséquences. S’il est relativement vrai que nous détenons sur le territoire national des capacités de production suffisantes pour couvrir les volumes d’énergie consommés par les habitants à l’année, c’est loin d’être le seul facteur à prendre en compte. Il ne faut en effet pas oublier la provenance des matériaux utilisés pour construire ces capacités de production, l’importation directe de capacités de production, leur lieu de conception et surtout les matières combustibles nécessaires pour produire de l’énergie. On se rend alors compte que l'indépendance énergétique supposée de la France est  un mythe plutôt qu’une réalité.

La dépendance est problématique lorsqu'elle se fait avec des pays avec lesquels les tensions diplomatiques, au niveau géopolitique et/ou commercial sont élevées et où les risques de rupture d'approvisionnement ou de chantage le sont aussi. Cette dépendance peut également poser des problèmes sur les plans écologique, au vu des émissions liées à l’extraction et au transport, social, au regard des conditions de travail locales, et éthique, notamment selon la nature du régime politique en place.

Néanmoins, une dépendance est aussi parfois avantageuse quand elle assure une sécurité énergétique permettant d’éviter les black-outs. C’est notamment le cas de notre connexion au réseau énergétique européen qui nous aide à ajuster à l’instant T notre demande de consommation d'énergie et l’offre nécessaire lorsque nous ne produisons pas assez sur le territoire.

Dès lors nous voyons bien que la question de l'indépendance énergétique est un sujet complexe qui doit nous amener à repenser nos besoins énergétiques dans leur sens large. 

☞ Concentrons nous maintenant sur notre sujet… L’indépendance énergétique permise par le nucléaire : un mythe tenace :

Si comme nous l’avons vu précédemment les réacteurs nucléaires produisent entre 63 et 70 % de notre électricité ces volumes sont en baisse ces dernières années ce qui explique en bonne partie pourquoi en 2022 “la France a été importatrice (d’électricité) tout au long de l’année, à l’exception de deux mois" (10).

De manière plus globale, les chiffres du Ministère de la transition énergétique sont formels : “le taux d’indépendance énergétique de la France, rapport entre la production et la consommation nationale d’énergie primaire s’élève à 55,5 % en 2020” (11). Certes, ce chiffre est plus élevé que la plupart de nos voisins européens, mais bien loin du mythe des 100 %.

☞ Surtout si l’on considère l'origine du combustible nucléaire :

Le chiffre du ministère cité ci-dessus est biaisé pour deux raisons. D’une part, car il compare la production et la consommation d’énergie primaire En effet, l’énergie primaire correspond à l’énergie tirée ou contenue dans un produit énergétique issu de la nature, à ne pas confondre avec l’énergie secondaire obtenue à partir de cette énergie primaire. Par exemple, le charbon est l’énergie primaire, et l’énergie secondaire correspond à l’électricité produite à partir de la combustion de ce charbon. Le différentiel entre ces deux types d’énergie est colossal. 

D’autre part, car il répond à des normes comptables. Dans le cas de l’énergie nucléaire, issue d’une réaction de fission de l’uranium ou du plutonium, les conventions statistiques considèrent comme production primaire, et donc production nationale, la quantité de chaleur produite par les centrales nucléaires. L’origine du combustible n’est donc pas prise en compte. Dès lors,  le manuel sur les statistiques de l’énergie coédité par l’Agence internationale de l’énergie et par Eurostat souligne que si l’origine du combustible nucléaire était prise en considération, « la dépendance de l’approvisionnement à l’égard d’autres pays serait accrue ». Dans le cas de la France, qui a recours intégralement à des combustibles importés (utilisés directement ou après recyclage), le taux d’indépendance énergétique perdrait 40 points de pourcentage, pour s’établir à 14 % en 2020, si l’on considérait comme énergie primaire le combustible nucléaire plutôt que la chaleur issue de sa réaction” (12). 

☞ Une dépendance totale à l’importation d’uranium nécessaire à la production d’électricité à partir des réacteurs nucléaires :

La France, depuis le début des années 2000, importe la totalité de son uranium nécessaire à la production d’électricité nucléaire, soit quelque 10 656 tonnes par an (13), provenant principalement du Kazakhstan, du Niger, du Canada, de l’Australie et de l’Ouzbékistan (14). Ceci représente une forme de dépendance vis-à-vis de l’étranger, et donc du contexte géopolitique de ces pays, qui pour certains sont sujets à de fortes instabilités.

☞ Un uranium dont l’extraction et l'approvisionnement dépend en grande partie du géant Russe Rosatom :

Dans un récent rapport, Greenpeace (15) a enquêté sur la dépendance de la filière nucléaire française vis-à-vis de l’entreprise publique russe Rosatom en matière d’approvisionnement en uranium naturel, principal combustible des réacteurs nucléaires. Si l’uranium naturel n’est pas extrait en Russie, le rapport montre qu’en 2022 par exemple, près de la moitié de l’uranium naturel importé par la France provenait du Kazakhstan et d’Ouzbékistan, alors que la “quasi totalité de l'uranium naturel en provenance du Kazakhstan, et une partie considérable de celui venant d’Ouzbékistan, passent entre les mains de Rosatom qui contrôle le transport de toutes les matières nucléaires transitant sur le sol Russe”. Le géant de l’énergie est aussi fortement impliqué dans la filière d’extraction d’uranium naturel dans ces deux pays. Aujourd'hui aucun itinéraire alternatif pour transporter ces volumes de marchandise n’est envisageable.  

☞ Ces liens commerciaux avec une entreprise aussi proche du Kremlin interpellent particulièrement dans le contexte des sanctions européennes vis-à-vis de la Russie :

Malgré les appels lancés par le Président Ukrainien et le Parlement Européen, le secteur nucléaire a été épargné par les sanctions européennes en réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. De plus, loin d’avoir coupé tous rapports avec la filière nucléaire russe, la France a “quasiment triplé ses importations dʼuranium enrichi russe en pleine invasion de lʼUkraine avec, en 2022, la livraison par la Russie dʼun tiers de lʼuranium enrichi nécessaire au fonctionnement des centrales nucléaires françaises pendant un an” (15).

Afin de ne laisser personne sur le côté de la route, il est essentiel d’amener rapidement la question du reclassement des salarié⋅es de la filière nucléaire. En chiffrant les besoins et en fixant à l’avance des échéances claires en matière de fermetures des réacteurs nucléaires, il sera possible d’anticiper la mise en place d’accompagnements et de formations pour les réorientations.

☞ La fermeture des réacteurs nucléaires historiques est inévitable à moyen terme.

En effet, l’âge moyen du parc nucléaire est de 36 ans. Les réacteurs ont été massivement construits à la fin des années 70 et au cours des années 80 et de nombreux atteignent ainsi progressivement la barre des 40 ans, qui est la durée de vie initialement prévue. La filière pousse pour des prolongements au-delà de 40 voire 50 ans mais ceux-ci ne sont pas actés. Pour éviter l’”effet falaise”, c’est-à-dire la fermeture dans un laps de temps court des réacteurs engendrant un choc de production, il faut une fermeture étalée sur le temps. On ne pourra pas prolonger indéfiniment les réacteurs, il faudra donc prochainement en fermer d’autres réacteurs.

☞ L’objectif n’est pas de fermer toutes les centrales d’un coup et maintenant.

négaWatt envisage une fermeture progressive d’ici à 2045 de l’ensemble du parc nucléaire, sans prolongement de réacteurs au-delà de 50 ans et sans relancer la construction de nouveaux réacteurs. Cette temporalité répond à des mesures de sûreté et confère un équilibre sur les plans énergétique, industriel, économique et social. En effet, l’idée est d’adopter une stratégie de lissage et de flexibilité des fermetures permettant d’arrêter et de démanteler les centrales nucléaires.

☞ Plus on anticipe mieux ce sera… en particulier pour les travailleur⋅ses de la filière :

Afin de ne laisser personne sur le côté de la route, il est essentiel d’amener rapidement la question du reclassement des salarié⋅es de la filière nucléaire. En chiffrant les besoins et en fixant à l’avance des échéances claires en matière de fermetures des réacteurs nucléaires, il sera possible d’anticiper la mise en place d’accompagnements et de formations pour les réorientations.

Ce genre de discours est dangereux et malheureusement trop répandu. Dangereux ? car,  comme nous le verrons plus en détail dans un prochain article, pour garantir notre approvisionnement énergétique et atteindre nos objectifs climatiques, nous devons impérativement massifier le déploiement de toutes les énergies renouvelables, même si l’on construit 14 nouveaux réacteurs nucléaires. Répandre cette idée que les énergies renouvelables ne sont pas indispensables c’est faire de la désinformation et se mettre en travers de l’atteinte de la neutralité carbone.

☞ Dans le rapport prospectif du gestionnaire de réseau, commandé par le gouvernement, la part de nucléaire même avec 14 EPR et des petits réacteurs ne représenterait que 50 % du mix électrique :

En 2019, le gouvernement a demandé à RTE, gestionnaire du réseau d'électricité français, de réaliser un rapport prospectif sur notre avenir énergétique permettant d’explorer différentes trajectoires de consommation et de production d’énergie nous permettant d’atteindre notre objectif de neutralité carbone d’ici à 2050. Ce rapport est sorti en 2021.

Même dans le scénario de relance maximale du nucléaire (N03), avec la construction de 14 EPR et quelques réacteurs modulaires appelés SMR la capacité installée du nucléaire en 2050 serait seulement de 50 GW contre actuellement une puissance installée de 63 GW (complété de l’EPR de Flamanville). Or selon ce même rapport, notre consommation d'électricité va augmenter de 15 à 60 % avec une trajectoire de référence à +35 %. 

C’est pourquoi, dans ce scénario, le nucléaire ne produirait que 50 % de l'électricité nucléaire : “Même un parc nucléaire constitué de réacteurs prolongés et d’un nombre important de nouveaux réacteurs ne peut suffire à assurer l’alimentation d’une consommation de 645 TWh d’ici 30 ans (référence de consommation), et a fortiori d’une consommation de 750 TWh” (16). 

☞ Dans tous les cas de figure, (toutes) les énergies renouvelables devront être déployées bien plus qu’aujourd’hui :

Dès lors, les capacités de production d’électricité renouvelable devront assurer au moins 50 % de la production d'électricité d’ici 2050 selon RTE. En effet : “L’étude conclut, sans aucune ambiguïté, au caractère indispensable d’un développement soutenu des énergies renouvelables électriques en France pour respecter ses engagements climatiques” (16), et en particulier les capacités solaires et éoliennes

Même dans le scénario N03 précité, la puissance installée par rapport à 2022 doit être multipliée par 4.7 en matière de photovoltaïque, par 2,3 pour les éoliennes terrestres. Concernant les éoliennes en mer, leur puissance installée doit atteindre 22GW contre 0 en 2022. Les sources renouvelables non électriques telles que la chaleur devront elles aussi se développer.

Retrouvez notre débunkage des autres idées reçues en faveur du nucléaire.

Sources

(1) Bilan électrique 2022 - RTE

(2) L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a pour mission d’assurer, au nom de l’État, le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France pour protéger les travailleurs, les patients, le public et l’environnement des risques liés aux activités nucléaires et de contribuer à l’information des citoyens. C’est une autorité administrative indépendante qui a été créée par la loi Transparence et Sécurité en matière Nucléaire (TSN) du 13 juin 2006

(3) Pour plus de détails sur la sobriété veuillez consulter le rapport négaWatt 2022 à partir de la page 14

(4) Futurs énergétiques 2050 - Rapport complet - février 2022 - RTE

(5) La transition énergétique au cœur d’une transition sociétale - 2022 - négaWatt

(6) Transition(s) 2050 Choisir maintenant Agir pour le climat - 2021 - Ademe
Mix électrique 100 % renouvelable ? Analyses et optimisations - 2013 - Ademe

(7)Si nous prenons la trajectoire du scénario négaWatt “La transition énergétique au cœur d’une transition sociétale - 2022”, en 2050 notre mix électrique pourrait reposer à 100 % sur des énergies renouvelables, et notre mix énergétique total à 96 %. Comme dans tous les scénarios de neutralité carbone à cet horizon là, une part résiduelle minime continue d’être assurée par de l’énergie fossile. 

(8) Eoliennes, pourquoi tant de haine ? - Cédric Philibert - Les petits matins -  2023 p.111

(9) Indisponibilités des moyens de production, RTE

(10)  Futurs énergétiques 2050 - rapport complet - RTE 2022

(11)  Pour en savoir plus sur les STEP voir https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/hydroelectricite-stations-de-transfert-denergie-par-pompage-step

(12) Thomas Veyrenc, directeur exécutif stratégie, prospective et évaluation du gestionnaire de réseau français RTE lors de la présentation du bilan électrique 2022

(13) Chiffres du Ministère de la transition énergétique

(14) Chiffres du Ministère de la transition énergétique

(15) à voir sir le site des décodeurs du Monde

(16) article de Reporterre "Uranium, la face cachée du nucléaire français"

(17) La Russie, plaque tournante de l’uranium - Greenpeace - mars 2023

(18) Futurs énergétiques 2050 - Synthèse du rapport - octobre 2021 - RTE

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